La délicatesse du toucher
J’ai été touchée par un coup, j’ai eu mal. Mais avant d’avoir mal, j’ai eu peur… la peur a conditionné mon corps à réceptionner ce qui allait se vivre. Certaines tensions sont apparues là où quelques minutes avant il n’y en avait pas. Tensions dans les épaules, la nuque, le bas du dos… Sentir ses tensions ne rend pas forcément immédiatement apte à les détendre, alors j’ai reçu un coup avec une certaine tension musculaire.
J’ai eu mal… au deuxième coup j’ai eu mal ; pourtant je ne pouvais ni parler, ni bouger, je respirais à peine… Quoi de moi était touché pour que la sidération s’empare de moi, pour que je me sente comme un papillon cloué sur une planche ?
Seulement après j’ai pu me lever (comme un automate) et marcher pour pleurer pleinement des larmes trop longtemps retenues… d’où venaient-elles ?
C’est en regardant mon corps que j’ai compris. Ce n’est pas que mon corps physique qui avait mal : les bleus de l’âme ont d’autres voies d’inscriptions sur la chair et ne connaissent ni le temps ni l’espace.
Enfant, ma mère a été battue. Régulièrement. Elle était une fille et dans sa famille être une fille était déjà, de base, un mauvais point. Elle a connu les coups, a grandi et en a guéri en partie. Elle garde de la colère vis-à-vis de son père et je la trouve parfois dure dans sa manière d’être. Mais ce jour-là en voyant mon corps je me suis rappelée, viscéralement, son vécu. Ce n’était plus une histoire cachée ou contée discrètement, j’ai eu un temps de « reviviscence », une remontée de mémoire de mon corps familial…
Je suis conçu en étant un être à part entière, mais dans les tréfonds de mon âme j’abrite mes lignées, avec leurs codes, leurs tares, leurs atouts…
Nous sommes porteurs de notre histoire familiale tant que nous n’en sommes pas libérés. Incarcérés inconscients de nos t-drames d’histoires familiales.
A la faculté, une enseignante en psychologie clinique transgénérationnelle nous disait toujours : « Dans chaque famille vous avez un roi et un pendu ». Chaque famille est porteuse d’histoires qui tissent la toile de notre histoire dans les mots sous forme de conte des origines ou dans le corps quand les mots n’ont pu être dit et accueillis.
Mais comment parler l’impensable ? Les mots se transforment alors en maux, comme nous le rappelle Jacques Salomé. Ils s’infiltrent dans les corps pour révéler la parole cachée.
Libération, de la colère, des pleurs, de l’injustice… libération de la honte et du sentiment de ne pas être digne : recevoir les coups peut venir blesser de nombreux plans qui demandent dès lors à être pansés, pensés.
Ce temps de compréhension corporelle m’a permis d’aimer plus ma mère telle quelle est aujourd’hui. De comprendre que dans ma lignée quelque chose de l’injustice et de la violence devait encore être nettoyé pour laisser vivre la spontanéité de l’enfant qui vit en confiance, l’enfant qui arrête de se rétracter pour supporter le vécu invivable des coups.
Jung nous explique que ce qui n’a pas été traité dans l’inconscient nous revient, invariablement, tôt ou tard…Comme un boomerang qui peut revenir dans notre vie ou celle de nos descendants : « les parents mangent le raisin vert et les enfants ont les dents qui grincent » nous rappelle la Bible. C’est donc le corps de mémoire qui réagit, et dans le cas présent le corps de mémoire familial.
Libérons les lignées pour faire de nous des hommes et femmes libres d’aimer, de respirer et de connaitre l’aisance et la dignité fondamentale d’être Humain. Honorer le passé pour qu’il puisse enfin passer, afin que la vie nouvelle naisse à chaque instant. Que le renouveau soit au cœur de nos vies pour célébrer de vivant en nous.
Et soyons vigilants et délicats autant que possible dans notre rapport à l’autre… dont je ne connais jamais totalement l’histoire. Passons de l’humiliation à l’humilité dans les rencontres pour leur permettre de grandir sereinement en humanité, dans un respect mutuel.
Pour que les fils de nos histoires futures créent la toile du nouveau monde.
Soraya